Depuis longtemps nous voulions monter une exposition Tal Coat : Olivier Delavallade, directeur du Centre d’Art de Kerguéhennec, où sont déposées les œuvres du peintre, nous y a aidés.
Nicolas Chatelain, qui connaît bien l’œuvre du peintre pour y avoir déjà été associé dans le cadre d’expositions communes, a choisi un certain nombre de tableaux et dessins. Dans l’entretien pour ce catalogue, il note l’intérêt qu’il a eu à la vision d’un documentaire où l’on voit Tal Coat dessiner, impétueusement, tout en marchant.
Peut-être est-ce là le lien qui réunit les trois exposants, car marcher c’est mettre en mouvement l’objet ou le paysage que l’on dessine. Les limites et contours des formes s’abolissent pour laisser glisser dans l’espace la traînée colorée ou estompée de leur essence qui ainsi vient au jour, et s’étend dans l’espace que nous partageons avec elle.
Les reprises, les cassures, les sutures, les agrégats de Nicolas nous parlent de cela : la limite de la forme et la fin du processus sont sans cesse reportées ; l’indécision est la règle : la chose pousse en avant puis se rétracte et tire en arrière.
Les sculptures de Vincent Péraro participent aussi de cette dynamique de l’étendue que Tal Coat avance dans ses peintures compactes, les «briques», blocs de matière dense, que vient animer la seule lumière, frisant à la surface, épousant les dénivelés pour en laisser filer le rayonnement sensible, comme dans les «pierres de rêve».
Sylvie Turpin – Janvier 2015
Tal Coat, En regard(s) 2, Nicolas Chatelain et Vincent Péraro.Je pourrais quasiment m’arrêter là. Ajouter quoi ? Sinon un nom, celui de Sylvie Turpin, artiste, amie, et infatigable animatrice d’un lieu rare, L’AGART, à Amilly, un centre d’art de proximité. Une aventure trop rare. J’ai eu le plaisir, à l’automne 2011, d’être invité à faire le commissariat des 10 ans de ce lieu d’exception et c’est donc sans hésiter que j’ai accepté la proposition de Sylvie Turpin d’y faire le second (peut-être le deuxième ?) volet de l’exposition En regard(s) présentée au Domaine de Kerguéhennec au printemps 2011. Une seule demande : partager le commissariat de cette exposition avec elle, pour le plaisir de la retrouver une fois encore, et de retrouver les artistes que nous aimons, le plaisir de travailler à cela avec elle, avec eux. Et je n’ai pas été déçu. Je crois que ça a été pour moi l’un des accrochages les plus difficiles et à la fois des plus exaltants. De toute évidence, celui qui m’a appris le plus : sur Tal Coat, tout d’abord, à travers le regard de Sylvie, Nicolas et Vincent. C’est plutôt heureux car c’est la raison pour laquelle j’ai imaginé ces expositions En regard(s), et c’est le fondement même du projet que nous menons à Kerguéhennec. Cela se joue à tous les niveaux : le plus basique, un effet de délocalisation, voir les œuvres ailleurs, dans un autre lieu (pas forcément beau, ni facile, justement), puis le projet lui‑même, en regard(s), au singulier (en face, en vis-à-vis) et au pluriel – les regards, choisis, voulus, à un moment donné, une humeur, le chantier de l’accrochage, les doutes, le chaos, l’inertie puis (cela se passe souvent après une nuit de décantation, et ça a été le cas), la reprise du chantier, et les choses, laborieuses et inertes la veille, qui se mettent à vivre, sous nos yeux, presque à notre insu… C’est vrai de nombreux accrochages mais, encore une fois, particulièrement cette fois-ci, et cela pour de nombreuses raisons : Tal Coat, d’abord, absent, et la responsabilité de ne pas instrumentaliser ses œuvres, les artistes, vivants, un peintre et un sculpteur, qui se découvrent, et enfin la co-commissaire, qui connaît Tal Coat, les artistes, son lieu, qui me connaît (on a déjà accroché ensemble les 10 ans, et aussi son travail dans une exposition de groupe à Kerguéhennec). En amont, nous avons choisi, ensemble, et d’un commun accord, les artistes : eux, trois ? Deux. C’est Nicolas qui a choisi les œuvres de Tal Coat, lors d’un rapide passage à Kerguéhennec. Il connaissait l’œuvre et le lieu pour y avoir séjourné, travaillé, exposé, et vu de nombreuses expositions, et notamment la succession des accrochages du fonds Tal Coat dans l’ancienne bergerie, là même où il avait exposé. Je l’avais invité alors pour les mêmes raisons que cette fois-ci. Non pas pour une proximité formelle, qui ne m’intéresse guère, mais pour une attitude qui devient forme, pour reprendre une célèbre formule. Et quelque chose d’incarné, qui parle de la présence, mais d’une façon détournée, une présence en creux, ou enfouie (les couches, les strates, l’humus, le soubassement dont parle Tal Coat). C’est cette même présence-absence que l’on retrouve chez Vincent Péraro, sculpteur. Bien que formellement éloignés (encore une fois, ce n’est pas cela qui nous intéresse), les deux – les trois – artistes sont proches, ou du moins, ils appartiennent à une même famille. Ils sont de ceux qui ne séparent pas matière, couleur et lumière, dessin, composition et forme. Aussi leurs œuvres apparaissent‑elles en bloc, abruptes parfois, pour reprendre la formule de Tal Coat. J’ajouterais, empruntant toujours à Tal Coat, vivantes, ou plus exactement dans le vivant, et cela nous intéresse, c’est même la seule chose que l’on puisse espérer d’une œuvre et d’un accrochage qui ne serait pas tout à fait raté. Et il me semble que, de ce point de vue, notre accrochage à quatre regards est plutôt réussi. Ce livret en rend compte très imparfaitement, comme tous les catalogues d’exposition. Comme une reproduction de tableau ne donne souvent qu’une vague idée de la peinture, surtout lorsqu’elle est bonne (la mauvaise peinture est plus photogénique). Il fallait venir voir l’exposition, beaucoup l’ont fait, nous étions nombreux et joyeux le soir du vernissage. Il fallait se déplacer dans l’espace, parmi les œuvres, s’approcher de certaines, s’éloigner d’autres pour saisir un mur ou un bout de mur. Pour ma part, je retiendrai la cimaise centrale avec cette pierre de Nicolas et Qui fut déposé de Tal Coat, une rencontre miraculeuse. Et aussi, de plus loin, mais non moins surprenant, le dialogue entre cette forme noire en creux de Vincent, qui nous happe littéralement à peine entrés dans la galerie, et sur le mur tout au fond de la galerie, cette encre sublime de Tal Coat, en forme de V inversé. Je ne voudrais pas terminer ce texte sans nommer et remercier deux autres personnes qui nous ont accompagnés, et souvent supportés, dans tous les sens du terme, dans cette belle aventure : Patricia Reufflet et Joëla Larvoir.Olivier Delavallade – janvier 2015